SURNOM : aucun, je préfère qu'on m'appelle par mon prénom, même si la plupart de mes collègues m'appellent par mon nom de famille, ce qui ne me dérange pas... AGE ET LIEU DE NAISSANCE : je suis né le dix mars mille neuf cent soixante dix-neuf et je suis donc âgé de trente-quatre ans ; je suis venu au monde dans une petite bourgade du nord du texas, dans une famille très conservatrice. ORIGINE : ma famille paternelle est issue de l'immigration anglaise et celle de ma mère est originaire des pays-bas, mais dans les cas, il s'agit de racines anciennes, nous sommes tous citoyens américains nés sur le territoire national depuis bien longtemps. POSTE : depuis le début de l'année dernière, je suis inspecteur aux homicides, un poste qui occupe le plus clair de mon temps, ce qui est d'autant plus vrai depuis mon divorce. ce que j'y vois de manière quotidienne est un spectacle effrayant mais je ne peux me résoudre à abandonner. STATUT SOCIAL : je suis récemment divorcé, ma femme ayant souhaité que nous nous séparions après que je lui aie confessé mes préférences, et ce après onze années de mariage ; nous avons trois filles, âgées de huit ans, trois ans et un an, et des jumeaux, une fille et un garçon, âgés de quatre ans. ORIENTATION SEXUELLE : malgré mon désir de bien faire et de maintenir les apparences, je ne peux cacher mon attirance pour les hommes ; je préfère conserver cette information secrète, même si j'en ai parlé à ma femme, qui a ensuite demandé le divorce. je n'ai jamais eu de relation avec un homme, que ce soit durant mon mariage, avant, ou après, mais il est temps pour moi de vivre en vérité avec moi-même. GROUPE : calimity jane AVATAR michael fassbender + blend par subrosa sur bazzart.


je ne sais plus rien sur rien, quelqu'un a explosé toutes mes certitudes, les a éclatées en mille morceaux dont les débris jonchent le sol et coupent mes pieds nus lorsque je marche dessus. ✣ je me sens libre et prisonnier à la fois ; libre parce que j'ai enfin eu le courage de me dépecer et de regarder dans mes entrailles, d'y chercher ce que j'y avais enfoui à l'âge de quinze ans ; et prisonnier parce que je suis trop vieux pour ces conneries, parce que quand on a cinq gamins et qu'on a plus de trente ans, on a passé l'âge. ✣ ma vie pue la merde, je suis à côté de la plaque sur tout, il n'y a qu'au bureau que je m'en sorte ; mon travail est devenu ma vie, j'en oublie les enfants qui m'attendent encore chez moi, espérant peut-être que je rentrerais avant qu'ils aillent dormir, mais je ne peux pas, je ne peux plus affronter le regard froid de leur mère, celle qui fut en temps ma femme, mais qui dort à présent de l'autre côté de la grande maison qu'on s'est achetée quand j'ai gagné assez. ✣ quand je rentre, tout le monde dort, alors j'allume la télévision et je mange des restes de repas que j'aurais aimé partager avec ma famille tout en regardant des rediffusions de sitcoms sur des chaines câblées qu'on paye trop cher, et dans ces moments-là, quand lisa kudrow et jennifer aniston font leurs numéros à la télé, je me sens tellement seul que j'ai envie de me mettre un canon de flingue contre la tempe et de compter à rebours jusqu'au boum final. ✣ je revois parfois mon enfance dans le sud, dans notre grande maison, une ancienne plantation, et je regrette d'avoir dû m'en échapper, d'avoir été contraint de mettre un terme à cette période de douce insouciance... j'aurais voulu rester enfant, j'aurais aimé qu'on puisse m'épargner les souffrances et les misères de la vie d'adulte, les questions qui l'accompagnent toujours. ✣ mes parents et moi, nous avons fini par nous éloigner, moi à cause de mes secrets, et eux à cause de leur éducation ; je les vois rarement, et eux ne m'appellent presque jamais, même si je suis leur fils unique. il y a un truc de cassé entre nous, sans qu'on puisse parvenir à mettre le doigt dessus, on sent que c'est là, comme une fissure invisible dans un verre et qui, quand on le porte à notre bouche pour y boire une gorgée de limonade, nous coupe la lèvre, laissant s'échapper un petit filet de sang rouge. pourtant j'ai tout fait pour les rendre heureux, je suis devenu flic comme ils l'espéraient, j'ai fait des études, je suis monté en grade tout de suite... mais rien n'est jamais assez dans ce monde. ✣ tout est pourri ici, je regrette cent fois de m'être installé dans ce quartier, on aurait dû attendre avant d'acheter, il aurait mieux valu rester dans cet appartement qu'on occupait plutôt que de se précipiter sur cette occasion... c'est vrai que la maison est belle, mais le quartier est naze, et je suis trop près de mon travail.

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Le gosse était assis sur son vélo, un vieux truc des années quatre-vingt dix qui avait servi à ses grands frères et à leurs potes avant de lui revenir, à lui, le dernier de la lignée. Il ferait les mêmes conneries que ses aînés sur ce vélo, il en tomberait, en crèverait les pneus, échapperait aux voitures de patrouilles sur ce même vélo, jusqu’au jour où il finirait par le donner à son petit frère, qui perpétuerait à son tour la longue tradition de la famille – de toutes les familles du coin à vrai dire. C’était une zone pourrie, une poubelle du monde, un chiotte mal lavé, Overlea. Ils s’en foutaient, eux, ils étaient nés dans les égouts de la ville, ils s’étaient habitués à la puanteur et à l’absence de soleil, ils ne connaissaient que ça. Le gosse faisait partie de ceux-là, et ses grands frères aussi, et ses petits frères aussi. Parfois certains voulaient s’échapper, mais c’était une tâche ardue et ils finissaient souvent par revenir parce qu’ailleurs ce n’est pas mieux qu’ici. Ceux qui ne revenaient jamais, ils voyageaient un peu, faisaient le tour de la ville, poussaient jusqu’à San Diego, ou même jusqu’au Nevada pour les plus courageux, mais ils finissaient tous par pourrir quelque part dans Las Vegas, une balle dans la tempe, et leur sang qui coulait et qui coulait jusqu’à la bouche d’égout. Le gosse ne s’échapperait pas, il était trop content ici, il se plaisait dans sa misère qui lui semblait un luxe. Il me toisait du regard, comme un lion, un air narquois déformant son visage bronzé par le soleil, par ces longues heures passées à l’extérieur quand les autres enfants de son âge étaient encore à l’école. Il était entouré de sa cour, une bande de quatre autres gamins qui se ressemblaient tous mais que j’avais fini par connaître. J’étais capable de reconnaître leurs voix respectives les yeux fermés : c’était la quatrième fois en deux semaines que je mettais les pieds sur ce qui serait un jour leur territoire. Je venais à peine de fermer un dossier pour meurtre qu’un autre s’ouvrait déjà. C’était une sale histoire, la mère du coupable du premier homicide venait d’être retrouvée éventrée dans son appartement. Il paraît qu’il y avait du sang de partout, et des organes dans toutes les pièces. Sa fille était en état de choc, elle avait été emmenée quelque part, pour être auscultée et parce qu’elle n’était plus en sécurité sans la surveillance de la police. Les gosses avaient l’air de s’en foutre royal, ils n’avaient pas l’air perturbé, et ce qui me rendit dingue en cet instant, ce qui déchira mon estomac, c’est que je savais que ça ne les perturbait pas. Ils respiraient comme d’autres tuent, et un jour ils tueraient comme d’autres respireraient. Ça me tuait. J’imaginais comment mes enfants vivraient, à leur place, et ça me tuait.
Je m’étais accoudé sur un petit muret, jusqu’à côté d’eux, comme si j’étais des leurs. Ils s’étaient tus et me regardaient fixement, prenant un air farouche quand je savais pertinemment que je n’aurais qu’à sortir mon flingue pour leur faire mouiller leur pantalon. « Quoi ? » demanda le gosse sur son vélo. Je ne répondis rien et me contentai de jeter un regard à la ronde. À une centaine de mètres, les voitures de flics étaient garées, les officiers devaient déjà être dans l’appartement, à la recherche de preuves. Le gosse insista. « Quoi ? » Je ne lui montrai aucun signe que j’avais remarqué son existence. Le soleil brulait mes joues et mes pupilles, il faisait chaud ici. « Y a des mecs de Compton qui disent avoir baisé ta mère. » J’éclatai de rire devant l’impertinence du gosse, et lui et sa bande crurent que je riais parce que je trouvais ça amusant. Ils se mirent à ricaner bêtement, jusqu’à ce que je gifle le gamin. La claque avait été douce mais suffisamment forte pour m’assurer qu’il ne recommencerait jamais ça devant moi, puis j’approchai son visage transpirant du mien. « Y a aussi des mecs du Texas qui disent qu’ils ont couché avec elle, mais c’est pas parce que c’est une salope que tu peux te permettre de lui manquer de respect. » Je le repoussai et m’éloignai du groupe. En partant, je m’exclamai dans leur direction : « Rentrez chez vous, ou allez à l’école ! » mais je savais, avant même d’avoir prononcé ces mots que c’était de la salive gaspillée. J’entrai dans l’immense bâtiment dans lequel la pauvre vieille avait été massacrée, et croisai mes collègues qui arpentaient le hall d’entrée à la recherche de preuves et de suspects. « Bonjour inspecteur. » Je hochai la tête et répondis, las : « Officier Clarke, officier Benassi. » J’étais heureux d’être entré à l’ombre rafraichissante, mais je n‘avais aucune hâte de pénétrer dans l’appartement dont le sol était jonché de tripes.